# Freak # Chapitre 1

U
n chapiteau ? C’est bizarre quand même, avec tout ce qui se passe en ce moment.

Il faut que vous sachiez que la ville dans laquelle je vis, enfin je vivais, est rongée par la criminalité depuis quelques mois. Certains se plaignent de vols à main armée, tandis que d’autres voient leurs proches mourir les uns après les autres. Je sais, c’est quand même hard comme vie, mais c’est la nôtre.
Et puis, y’a aussi ceux qui se plaignent d’autres choses. Comme quoi ça serrait pas des humains qui les auraient attaqués. Mais bon, pour moi c’est que des foutaises.
Faut dire aussi que les forces de l’ordre sont légèrement, comment dire… incompétentes ? Non, j’déconne pas, ils foutent que dalle. C’est à peine si ils s’en préoccupent de touts ces délits ! En même temps, tant mieux pour moi.

Bon j’me décide à avancer ou pas ? C’est pas que j’ai peur, mais vu de près il a pas l’air très net ce chapiteau. Le tissu rouge et jaune est déchiré à plusieurs endroits, voire même tombé en poussière. Des toiles d'araignées occupent les recoins et les plis de la toile et sur le devant, surplombant l’entrée, je remarque cette pancarte :

« Cirque du Freak de New Dell »

Eh ben, ils viennent de loin eux !
Enfin, j’me met à marcher vers ce torchon . C’est pas comme si ma disparition allait rendre quelqu’un vraiment malheureux. Est-ce que c’est un repère de gang , une zone de trafic, le lieu d’un meurtre ? Autre part, ça ne m’aurait pas étonné, mais je n’avais jamais vu cette toile auparavant. Elle ne devait pas dater d’aussi longtemps qu’elle ne le laissait croire. Elle ne le pouvait pas.
Bref, trempé comme un clochard j’passe l’entrée.

Bizarrement, à l’intérieur tout est éclairé. Les chandelles donnent cet air lugubre qu’on voit souvent dans les films d’horreur. Ouais je sais que vous vous dites « Putain, qu’est-ce que tu vous encore là ? C’est trop flippant, merde, casses-toi ! ». Mais bon, encore une fois j’ais rien à perdre et tout à y gagner. L’air y est sec et chaud, ça fait un sacré bien après un déluge pareil.
Il y a une seule partie de la pièce que j’ai encore du mal à discerner, cachée dans l’ombre à la manière d’une araignée attendant sa proie dans sa toile. Je commence à m’installer pour la nuit. « je m’en occuperai plus tard » j’me dit. Mais j’ai cette sensation dégueulasse que quelqu’un me regarde.
J’me dirige vers cette partie sombre du chapiteau. Je fais un pas, deux pas, trois, dix, vingt. Et pourtant j’ai toujours pas bougé d’un mètre. Mais qu’est-ce qui m’arrive ?
Je me met à courrir. Je cours, plus vite, encore plus vite. Je vois bien mes affaires loin derrière moi, mais la forme floue de cette saleté d'ombre se trouve toujours à la même distance. Je comprends plus rien. J’deviens fou, c’est ça ?
Je tombe à genoux, d’épuisement, et me met à halleter. Je sens cette présence tout autour de moi. J’me sens faible. Comme une proie désarmée. Sans aucun recours possible. Alors j’me laisse aller à mon sort. J’ai plus rien à faire de toute façon.

Au bout de quelques minutes, l’ombre commence à se dissiper. J’remarque au fond de la pièce une silhouette assise derrière un bureau. J’me lève, heureux de voir que j’suis pas seul. Mais en même temps, comment ne pas avoir peur. J’sais pas comment réagir, alors je m’approche sans rien dire.
J’arrive près d’un vieillard encapuchonné d’une longue toge noire glyphée de doré. J’me dit qu’il est bizarre. Trop pour être clean. Bref, il est comme moi. Alors j’m’assied.

-Bonjour Watson. C’est bien, tu te décides enfin à me rejoindre.

Cette voix résonne au plus profond de ma tête, comme si ce type me parlait pas télépathie. Et comment il connaissait mon nom ? Là, c’est clair : c’est quoi ce mec ?!

-Mais ne t’inquiete pas, tu auras toutes les réponses en temps voulu. En attendant, discutons un peu.

J’ai pas vraiment autre chose à faire aussi.

-Bon, par quoi on commence alors ?
-Ne sois pas si pressé, m’a répondu le vieillard. On a toute la nuit devant nous. Pourquoi ne profiterions-nous pas de cette compagnie ? Je sais très bien que ce sentiment te manques autant qu’à moi.
-Pour ressentir le manques, faudrait déjà que je connaisse ce sentiment.
-Oh ! Mais inutile de me mentir comme ça, tu sais. Je connais ton passé au moins aussi bien que le fond de ma poche. Je peux te rappeler que tu as déjeuné ce matin même d’œufs au bacon, servis dans un fast food d’occasion. Je suis capable de te remémorer l’horrible douleur ressentie lorsque tu as été marqué d’une cicatrice à ton avant bras gauche. Je suis même dans la capacité de répondre à tes questions concernant tes parents avant même que tu naisse. Alors, n’essaie pas de me mentir. Je connais cet homme. Un fabricant de jouet je crois. Comment s'appelait-il déjà ? Il me semble que ça commençait par la lettre P.
-Phil. Il s’appelait Phil. Et c’était aussi mon grand-père.

J’sais pas qui est cet homme, mais il commence déjà à m’énerver. Comment savait-il tout cela sur moi ? Je comprends rien.

-Oui, je le sais ça aussi. Raconte moi ce qu’il lui est arrivé, au fait. Pourquoi n’est-il pas avec toi ?
-A quoi bon si vous le savez déjà ?

Il se met à ricaner. D’un rire rauque et léger, comme celui de ces gens aux portes de la mort. Je ne le connais pas, mais je le hais déjà. Je ne veux pas me rappeler de tout ça. Il y a des choses qui font mal dans la vie et celle là en fait partie.

-Crois-moi petit, je ne connais pas tout de toi. Et encore moins que cet homme. Alors fais plaisir à un vieillard et raconte lui l’histoire qu’il veut entendre. Qui sait si je ne mourrai pas demain ?
-Vous.

De nouveau, il ricanne.

-Ce n’est pas faux. Soit, je ne te force pas à tout me raconter. Mais viendra un jour où je recroiserai ton chemin Watson. Et ce jour là tu comprendras ce que j’attends de toi.

Je m’apprette à répondre lorsqu’un choc retenti à l’intérieur de mon crâne. Ensuite, le noir. Le noir absolu.
Je flotte sur une mer d’encre, revoyant les visages familiers qui me manquaient au fond de moi. Je vois mon père, ma mère. Je les ai déçu. J’ai honte. Je revois Phil. Bon dieu, qu’est-ce qu’il me manques ... Je revois beaucoup de gens. Je me demande si je suis mort.
J’en vois un dernier. Celui de l’homme que j’ai tué. Vient-il me torturer ? Je savaiss pas que c’était possible ce genre de choses.
J’entends un léger petit bruit. C’est loin, c’est flou, je ne le reconnais pas. Il recommence. Plus près, plus net. Un pas. On s’approche. Un deuxième, une foulée. Quelqu’un est là. On m’appelle, je ne réponds pas.
On me transporte. Où ? J’sais pas, j’m’en fous. J’suis bien finalement.

***

On me parle. J’fais pas attention. On continue, moi j’veux juste dormir tranquille, ça fait longtemps que j’dors plus aussi bien. On me pose les mains dessus. Ils pensent que j’suis dans le coma. Pff.
J’finis par ouvrir un œil.Puis deux. Ils sont trois à coté de moi. Tous fringués bizarrement. Y’en a un plus vieux que les autres. Basé, avec une barbe grisonnante et les cheveux en arrière. Il porte juste une chemise ouverte. Bon dieu, il a pas froid ?

-Hé petit ! il se met à me parler. Hé, tu vas bien ?

J’essaie de répondre mais j’y arrive pas. J’me sens faible et pourtant j’suis bien. J’les entend s’agiter autour de moi. J’essaie de rire mais ma bouche n’arrive pas à se déformer. J’suis comme paralysé. Après avoir calmé l’agitation des deux plus jeunes, le barbu s’agenouille vers moi et recommence à causer :

-Ok petit. Ecoute, je sais que tu peux m’entendre. Surtout ne t’inquiète pas, il n’y a rien de grave. Tu as juste du te cogner la tête et tomber un moment dans le coma.
« Si tu savais ! » Là encore j’arrive pas à rire. Putain, c’est frustrant !
-Bon, on t’emmène.
« Quoi ?! Hé, j’ai peut-être mon mot à dire aussi non ? Pff, qu’ils fassent ce qu’ils veulent de toute façon je sais rien faire. Au pire je serai au chaud et au sec. »
-Tu me pardonneras, gamin.
« Hé, qu’est-ce que tu fous ? Merde, enlève ce bandeau de mes yeux tout de suite ! Bordel, je peux toujours rien dire. »

J’me laisse faire, on me porte. C’est déjà ça, j’ai pas à marcher. La route est longue apparemment. J’entend leurs voix tout autour de moi. Puis elles s’éloignent jusqu’à se résumer à de simples murmures. Ensuite, plus rien. J’m’endors.

***

J’me réveille. Il fait chaud, j’suis dans un lit. Un lit aux draps d’un rouge sang atroce. Pourtant, j’me sens en sécurité et ça c’est une première ! J’me sens aussi en pleine forme. J’me lève d’un bond et je m’habille. Je passe le jean déchiré, le T-shirt col v, par-dessus j’enfile ma veste, je retrousse ses manches et noue les lacets de mes bottes. J’aime avoir la classe. C’est à peu de choses près tout ce qu’il me reste. J’vais voir devant la glace à quoi j’peux bien ressembler. J’ai le teint pâle, livide. Des cernes énormes et les cheveux en pétard. Ceux-là, je les recoiffe bien à ma manière avant toute chose. Comment ? J’suis une vraie goumiche pour penser à ce genre de choses dans ces moments là ? Au pire, tu te tais.
Bref, maintenant j’suis présentable. J’laisse mes affaires ici. J’reviendrai surement les chercher un jour. J’prend la porte sur le coté.
En sortant, j’arrive sur une clairière agitée et occupée par toutes sortes de gens plus bizarres les uns que les autres. Des accoutrements ridicules, des faces aux sourires niais et des gens aux allures extravagantes. Pour résumer, j’suis dans un cirque.
Enfin, dans un cirque, plus ou moins. J’suis plutôt dans les loges. Enfin j’sais pas comment on appelle ça. Vers l’arrière du terrain, là où ils gardent les animaux en cage, où les clowns se préparent à faire les cons pour le plus grand plaisir des cons eux-même. J’dis ça mais mine de rien j’ai toujours adoré cette ambiance.
J’me met à avancer parmi toutes ces tonnelles. Les regards se tournent systématiquement vers moi mais j’ai l’habitude, ça me choque pas.
Au bout d’une petite trotte, je remarque une silhouette familière. Forte carrure, chemise verdâtre ouverte sur torse bombé. Barbe grisonnante et cheveux en arrières. C’est le gars qui m’a ramené ici.

-Hé ! je l’appelle. Hé, vous, le gros costaud.

Le silence se fait tout autour. Les regards se braquent sur moi et me fixent. L’homme se retourne lentement et avance d’un pas décidé vers moi. Pendant ce temps, je remarque une cicatrice le long de sa joue qui descend jusqu’à la gorge. Il arrive à à peine vingt centimètres de moi et me regarde dans les yeux. J’ai fais une connerie ?
J’ai pas le temps d’avoir peur, il me met une claque dans le dos et commence à esclaffer d’une voix grave et bien portante.

-Ahah ! T’as finis par te réveiller on dirait ! Pendant un moment, certains ont crus que t’étais mort. Moi pas, et heureusement que c’est pas le cas parce que tu vieux de me faire gagner deux-cent balles.

Il esclaffe de nouveau et porte son attention vers un mec en tenue ridicule.

-Hé, Gib ! Envoie la monnaie, le petit est parmi nous !

A ces mots, il s’approche de nous. Je remarque aussi que plus personne ne prête attention à notre discussion. Il arrive aussi près de moi que le costaud l’est déjà. J’le reconnais, c’est un des deux jeunes qui m’ont trouvé avec monsieur muscle. Il se met, lui aussi, à me parler :

-Qui l’u cru ! J’aurais jamais pensé te voir debout un jour. Moi c’est Gib, me fait-il en portant la main à son torse. Et toi ?
-Watson. Watson Wild, je lui réponds avec un sourire.

J’suis d’une part amusé par son accoutrement débile mais aussi par le fait que je me sens en sécurité ici. C’est bon, si bon que j’ai envie de courir partout ! Le gaillard prend la parole :

-Hé bien Watson, j’suis heureux de te voir en vie ! Moi, c’est Agrippa. Mais tout le monde m’appelle le « Vieux loup ». A toi de voir fiston.

Je vois bien qu’il essaie de commencer une dernière phrase, mais une sonnerie retentit et lui coupe la parole. Amusé, il reprend :

-Allez viens, on va être en retard pour le spectacle.
-Hé attends ! Quel spectacle ? J’comprends pas ! J’ai même pas de place !
-T’occupe ! On gère ça, toi tu nous suis.

Alors j’me met à courir derrière eux. J’essaie de suivre, mais c’est qu’ils vont vachement vite ! Au final, on arrive à un chapiteau. Celui-ci est tout neuf et dans les mêmes tons que celui que j’ai vu avant de « tomber dans le coma ». On passe par l’arrière, l’entrée des artistes.
Au passage, je croise beaucoup de gens plus bizarres les uns que les autres. Tous demandent ce que je fais là mais Agrippa et Gib ne leur laissent même pas le temps de terminer leur question :

-Il est avec nous, dégage.

Au final, on rentre dans la partie centrale du chapiteau. Il est immense ! Agrippa m’assied à une place reculée des autres personnes. Par contre j’vois le terrain mieux que n’importe qui. J’dois être chez les VIP.
Je me retrouve tout seul et j’attends. Quelques minutes passent avant que les lumières ne s’éteignent et laissent place à un spectacle hors du commun.

Je vois un homme s’avancer vers le centre du cercle que dessine le chapiteau. Un faisceau de lumière descend et l’illumine de milles feux. Il porte un costard tape à l’œil mais qui lui va comme un gant. D’une voix mielleuse il déclare :

-Mesdames, messieurs, bienvenue. En cette belle soirée d’automne, j’ai l’honneur de vous présenter nos meilleurs artistes venus du monde entier pour vous émerveiller. Ce soir, mesdames et messieurs, vous n’en croirez pas vos yeux. Vous oublierez tout ce qui vous semble logique. Vous changerez de manière de penser. Ce soir, mesdames et messieurs, vous découvrirez l'impossible !

Un charmeur, ouais.

-Et pour commencer , laissons place à …

Bref, pour vous faire un petit résumé de la soirée, beaucoup de blabla et beaucoup de pseudo-artistes. Des acrobates, des contorsionnistes, des dresseurs, des saltimbanques et plein d’autres. Rien d’extraordinaire quoi. Juste un cirque comme les autres. Tout est banal, sauf la musique. Il passe du Woodkid, j’adore. Il faut avouer que « Conquest of spaces » convient parfaitement à leurs numéros. Mais à part ça, rien de bien spécial. Enfin, je pensais.
L’homme au costard annonce un nouvel arrivant. J’en ai marre et hésite à partir jusqu’à ce qu’il prononce le nom d’Agrippa. Alors je reste, piqué par la curiosité.
Le vieux loup arrive sur scène. Monsieur nous fait un joli discours comme quoi « tout ce que l’on voit n’est pas forcément vérité ». Puis il enlève sa chemise lentement, puis son pantalon. Un stip-teaseur ? Non, c’est pas du tout ça.
Ses yeux commencent à se révulser. Sa tête se tord vers l’arrière et sa bouche se tend en un rictus énorme. Il pousse un cri. Un autre, un troisième. Le dernier devient assez bizarre. On dirait un rugissement. Ses jambes se craquent et changent de morphologie. Sa peau laisse place à un pelage d’un noir absolu et des griffes sortent de ses doigts. Sa tête se déforme. Deux petites oreilles semblent en éclore, pareilles à deux bourgeons. Sa mâchoire avance et s’anime. Une gueule apparaît bientôt sur le bas de son visage, munie de crocs plus tranchants les uns que les autres. Ses yeux reviennent enfin à eux et sont d’un jaune incroyable.
Je retiens mon souffle devant ce spectacle satanique. Devant moi se tient une bête mythologique, une légende. Agrippa est un lycan.


C’est quoi ce bordel ?!

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