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our ma part, je n’étais pas
fatigué. L’air frais me convenait et, intrigué par les événements, j’ai décidé
de marcher un peu avant de rentrer. Le paysage était magnifique. Le soleil
couchant donnait une teinte rosée au ciel et s’évanouissait derrière les arbres
tandis que les oiseaux, rentrant dans leur nids, piaillaient en cœurs, formant
tous ensemble un doux chant de nuit. Je longeais la grille qui séparait la
ville des sous-bois en repensant à cette voix que j’avait entendue. Pourquoi
Elly ne l’avait-elle pas remarquée ? Elle était pourtant assez forte pour
réveiller tout un village.
Je commençait à me convaincre que
ce n’était que mon imagination quand le cri retentit de nouveau. Plus fort,
plus aigu et plus net. Il s’agissait bien d’un rire. Je me pris à regarder
furtivement aux alentours, quelquefois que quelqu’un d’autre l’aie entendu,
mais malheureusement j’étais bel et bien le seul. L’avantage, c’est que je connaissais
maintenant son origine : la forêt.
Je ne saurais dire si ce qui est
arrivé ensuite s’est produit par réflexe ou par curiosité, mais ça s’est
produit. Sans hésiter, j’ai empoigné le grillage et ai commencé à grimper . Il
était fin et il y avait peu d’espace entre ses mailles pour y prendre appui
correctement, aussi ais-je du m’y essayer à deux reprises avant de l’avoir
franchie pour de bon. Laissant alors la ville derrière moi, je pris le chemin
des sous-bois.
Au fur et à mesure que
j’avançais, la végétation se faisait de plus en plus dense, les arbres de plus
en plus hauts et ce rire de plus en plus présent. Il résonnait à travers moi,
comme s’il s’agissait d’une de mes pensées les plus intimes. Cette voix criait
dans ma tête, riait et esclaffait à la manière d’un maniaque. Je me demandais
si j’étais devenu fou. Si oui, pourquoi ? Si non, qu’était-ce ?
D’un coup, tout à cessé. La
verdure s’est écartée autour d’un étrange lac. C’était un petit bosquet,
inconnu de nos cartes au milieu de la forêt. L’air y était pur et l’eau
courante semblait potable. En m’arretant, je me suis rendu compte que je suais
comme un bœuf. Ma chemise était trempée et mon front était parsemé de
minuscules gouttelettes. J’étais fatigué.
En voulant reprendre mon souffle
contre un arbre, j’ai remarqué une silhouette de l’autre coté du lac. Une
silhouette étrangement familière.
-Zach ? hésitais-je. Zach, c’est
toi ?
C’était bien lui. Je suis allé à
sa rencontre, presque en courant, toujours troublé par ce que je venait de
vivre.
-Zach, toi aussi tu…
-Oui, moi aussi je l’ai entendue
cette saleté ! J’ai bien cru que j’allais devenir fou ! Putain, c’était quoi ?
-Peu importe ce que c’était.
Maintenant qu’on est là, autant chercher ce que ce truc avait à nous montrer.
-Mais de quoi tu parles ?
-Réfléchis une seconde. Pour
quelle raison est-ce qu’on serait amené tout les deux ici par la même voix que
nous seuls pouvons entendre ?
-Pour … nous montrer quelque
chose ?
-Et surement quelque chose d’important
vu ce qu’on vient de vivre … Allez, calme toi et cherche avec moi. Je prends à
gauche, toi à droite.
Nous avons cherché pendant
longtemps sans rien trouver. Il se faisait tard et nous étions fatigués, mais
nous ne pouvions pas rentrer bredouilles, il y avait forcément quelque chose à
trouver dans tout ce mystère. Alors nous avons redoublé d’effort.
Soudain, j’entendis Zach crier :
-Aaro ! Aaro, dépêche ! J’ai
trouvé un sale truc tu vas pas le croire !
***
-Attendez les mecs. Pas tout les
deux à la fois sinon je vais rien comprendre. Zach, vas-y.
Nous étions installés autour
d’une table au Will’s Café, le lendemain de notre escapade avec Zach. Sam nous
avait rejoint et seule Elly était absente, nous ne l’avions pas prévenue.
-…et quand je suis arrivé au
bord, c’est là que j’ai compris : c’était une cascade ! Et absolument énorme !
J’en voyais pas le fond, t’imagine ? Tout était recouvert par de la brume.
-Hé ben les gars, voilà qui est
pas banal, déclara Sam de sa voix portante. Une cascade à Ennbe, on aura tout
vu.
-Qu’est-ce qu’on fait alors ?
-On descend pardi ! cria Zach,
plein d’excitation. Je veux dire, il doit sûrement y avoir un chemin qui mène
en bas non ? Une cascade ça se contourne.
-Hop là gamin ! ironisa Sam. Vas
pas trop vite, tu vas te prendre une branche. Imagine qu’en bas tu sache plus
remonter, tu fais quoi ? T’appelle oncle Sam qu’il vienne à ta rescousse comme
avec le vieux Bill ?
-Hé ! C’était pas ma faute, c’est
lui qui m’as menacé avec sa fourche !
-Tu rougit Zachary, c’est pas
bien de mentir à un adulte.
-J’te signale que moi aussi je
suis majeur maintenant !
-En attendant, les
interpellais-je agacé, ça ne résout pas notre problème. On en fait quoi de « ça
» ? On en parle à papa ?
-Jamais ! intervint Zach. Il nous
empêcherait d’y retourner et enverrais ses troupes pour aller vérifier le
périmètre. Non, on devrait y aller discretos un soir et revenir le lendemain
matin. Tu verras ça prendra pas plus de quelques heures.
-Zach, on t’as déjà dit que…
Une main venait de se poser sur
mon épaule. Me retournant au quart de tour, je reconnu Edwarde, notre dévoué
majordome. Enfin, majordome est un grand mot… C’est comme ça qu’on l'appelait
pour l’ennuyer de temps en temps. Edwarde était un ami du père de mon père. A
la mort de celui-ci, c’est Edwarde qui a élevé mon père. C’était donc une sorte
de grand-père pour Zach et moi, mais en plus doux, plus confident. Il était
bien bâtit et arborait une barbe blanche si touffue qu’on en avait parfois du
mal à repérer ses lèvres. Son crâne dégarnit laissait place à des sourcils
épais et broussailleux de la même teinte que sa barbe. Ses yeux était sombres
mais doux. On y lisait la tendresse qu’un grand-père porte à son petit-enfant.
Bizarrement, il avait toujours été plus proche de moi que de mon jumeau. Comme
un peu tout le monde en fait …
-Edwarde ! m’écriais-je. Comment
vas ton bras ? Bon sang, ça fait plaisir de te revoir !
-Ahah, doucement fiston. Je suis
un gaillard, certes, mais je suis plus tout jeune. Ne sois pas si pressé de me
défaire de cette atèle.
Lui donnant l’accolade, je
l’invitai à venir nous rejoindre quand il refusa poliment :
-C’est bien gentil mais je n’ai
pas le temps de rester. Toi non plus d’ailleurs.
-Comment ça ?
-Ton père t’appelles. Il dit que
c’est important mais n’as rien dévoilé de plus. J’espère pour toi que tout vas
bien.
Me tournant vers les deux autres,
je vis que Sam avait du mal à cacher un petit sourire.
-Quoi ? lui demandais-je.
-Rien « fiston ». Ne fais pas
attendre papa, il a besoin de toi. Allez, je t’en paie une dernière Zach !
Je les laissa alors derrière moi,
cheminant avec Edwarde le long de la route qui nous menait vers mon père, le
lieutenant Gregory Todd.
***
Une forte odeur de cigare
emplissait comme toujours le bureau de mon père. Il en était fan, c’était son
péché mignon. Mon père avait les même yeux bleus que Zach et moi ainsi que la
même couleur de cheveux marron. Mis à part que les siens étaient toujours coiffés
vers l’arrière et que sa barbe était à chaque fois rasée de près, on aurait dit
une version de nous identique mais plus âgée.
-Pourquoi moi ?
-Zach n’est pas dans la capacité
de soutenir de telles responsabilités, Aaro. Toi si. Tu as toujours été comme
ça, malin et obstiné. Ce sont deux compétences importantes à acquérir avant de
pouvoir s’occuper correctement de stratégies militaires. Malheureusement, ton
frère manques cruellement de la seconde. Ce qui fait de toi mon digne
successeur.
-Et si je refuse ?
-Pourquoi le ferais-tu ? Pour
l’honneur ? Pour la gloire ? Ou simplement ta propre satisfaction ? Ne nie pas
l’évidence mon fils. Tu es né pour prendre ma place, et tu accompliras ton
devoir.
-Je ne veux pas endosser de
telles responsabilités. Je veux garder ma liberté, pas avoir le poids du peuple
entre mes mains.
Il se frotta le visage de ses
mains, de toute évidence agacé. Se levant de sa chaise, il s’agenouilla devant
moi et mis ses mains sur mes épaules.
-Tu sais Aaro, avant de mourir,
ton grand-père m’as légué quelque chose.
Il déposa au creux de ma main un
couteau luisant de milles feux. Il semblait neuf, mais aux mains de mon père,
je n’osais imaginer le nombre de victimes qu’il avait fait auparavant.
-En me le léguant, a-t-il
continué, il m’a murmuré des mots que je n’oublierai jamais : « Un homme ne
faillit jamais à son devoir ».
Il se leva et épousseta son
pantalon.
-Aaro Todd, je te nomme légitime
successeur de Gregory Todd au poste de lieutenant en stratégie militaire.
-Mais…
-Ma décision ne se discute pas !
Maintenant file.
En sortant, je surpris Zach en
train d’écouter à la porte.
-Alors ça sera toi… déclara-t-il
avant de filer.
Me ruant pour le rattraper, je
tentais d’éviter tout individu me coupant la route. Nous avons couru comme ça
dans toute la ville, parvenant quelques fois à échanger de brefs petits mots
essoufflés. Je lui courrais après avec l’obstination nécessaire, oubliant mes
points de cotés et la douleur qui envahissait mes jambes à chaque pas. Une
chose était sure : physiquement, Zach me surplombait. Et de loin.
Très vite, j’ai compris où il
m’emmenait. Nous avons alors dépassé la maison délabrée, le grillage de
séparation et nous avons traversé la forêt avant d’arriver à la fameuse
clairière.
Zach s’arreta aussitôt.
-Pourquoi… ici ? bafouillais-je,
essoufflé.
-Ta place est ici Aaro. Tu dois
t’occuper des troupes avec papa. T’as été choisi. Mais moi ? Moi, qu’est-ce que
je fais, hein ? Je reste là à te regarder ? Je m’engage dans les troupes ? Non…
Trop facile.
-Zach, ne fait pas ça.
-Je pars. Je pars explorer ce
qu’on a trouvé. Maintenant, retourne à Ennbe et dis que je reviendrai le plus
tôt possible.
-Je peux pas te laisser faire ça.
-Et comment tu compte t’y prendre
? Tu vas appeler Edwarde ? Sam peut-être ? Je serai parti avant qu’ils
n’arrivent.
-Non, tu vas revenir avec moi !
M’approchant pour lui empoigner
le bras, il fit un pas en arrière. Un pas de trop surement car il tomba dans le
lac d’un coup sec. C’est là que nous avons compris que c’était un fleuve
souterrain qui émergeait seulement d’une partie car le courant emportait mon
frère à une vitesse folle vers la cascade.
Plongeant la tête la première
pour le sauver de la chute, je l'attrapa de justesse, m’accrochant à un morceau
de rocaille émergeant à peine de l’eau. Mais le courant était fort, trop fort.
Si je n’abandonnait pas Zach, nous y passerions tout les deux. Pourtant je ne
pu m’y résigner. C’était mon frère. En le hissant de toutes mes forces, je ne
réussi qu’à aggraver la situation en perdant un peu de mon appui sur la roche.
Je ne savais plus quoi faire. J’étais perdu, aux portes de la mort avec le seul
choix d’abandonner l’être auquel je tenait le plus au monde ou de mourir.
Mais Zach m’arracha ce choix. Il
sortit un canif de sa poche, et me le planta dans la main, m’obligeant à le
lâcher dans un cri de désespoir.
***
Dans la vie, il y a beaucoup de
formes d’amour. L’amour charnel, l’amour passionné, l’amour vrai. Pour ma part,
il y a également un dernier type d’amour : celui qui existe mais dont on ne
connait pas l’origine. On aime. On aime mais sans raison. Parce que l’on a
passé toute son enfance avec lui ? Parce que vous êtes nés au même moment ?
Parce qu'on le connait mieux que personne ? Ou encore parce qu’il nous aimait
en retour, plus que sa propre vie, assez pour se sacrifier à notre place du
haut d’une cascade ?
Rien ne saurait expliquer cet
amour. Mais c’est celui-ci même qui me poussa à partir à la recherche de mon
frère. »
Dernier paragraphe à lire avec cette chanson
: "Woodkid - I love you" ( lien :
http://www.youtube.com/watch?v=KQu8FOjJXdI regarder vers 1.30 minutes )
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